Maria NEGREPONTI-DELIVANIS
Universite Macedonienne de Thessaloniki, Grece
delimar@uom.gr
Resume
Le conflit en Ukraine se deroule entre deux mondes profondement divises : l’Occident avance et dirige par les Etats-Unis et l’Orient en voie de developpement dirige par la Chine. Cette guerre, qui risque de se transformer en troisieme guerre mondiale si la prudence ne l’emporte pas, ne porte pas tant sur le contenu et la dose de democratie appliquee dans les deux camps belligerants, que sur la question de savoir qui dirigera le monde dans quelques annees. Or, l’Occident, qui souffre d’une decadence imminente a tous les niveaux, ne reconnait d’autre civilisation que celle de la democratie liberale, qu’il tente d’imposer au reste du monde. Selon les previsions, en 2040, les pays au sommet du monde seront la Chine, l’Inde, l’Indonesie, le Bresil, la Russie, le Mexique, et la Turquie, tandis qu’aucune des economies occidentales n’appartiendra au G7 des pays les plus puissants du monde. Avec ou sans l’aide de la Chine, le monde en developpement, bien qu’il n’ait pas adopte le regime de la democratie liberale, connait une croissance rapide. Les consequences pour l’Occident sont la montee du populisme, la reduction de la portee mondiale des Etats-Unis et la de dollarisation.
Mots cles : division du monde, mondialisation, democratie liberale, domination mondiale, troisieme guerre mondiale, declin de l Ouest, populisme, de-dollarisation.
Classification JEL : E6, F01, P5.
Introduction
La guerre en Ukraine, dont la fin n’est pas encore en vue, met en jeu des interets eleves et complexes, qui ne se limitent certainement pas au cadre etroit des differences geopolitiques entre la Russie et l’Ukraine. Malgre l’opacite entretenue par les medias internationaux, il s’agit essentiellement d’un conflit global entre deux mondes profondement divises. Il s’agit d’une forme avancee de guerre hybride, qui parvient pour l’instant a
masquer de maniere satisfaisante les interets primordiaux du monde, mais dont l’incapacite
a trouver une solution risque de se transformer en Troisieme Guerre mondiale [note 1].
C’est la guerre qui a mis en evidence ce fosse entre deux mondes. Sur le plan geopolitique, le premier est l’Occident, mene par l’Amerique planetaire, et le second est l’Orient, mene par la Chine, qui, selon toutes les indications, succedera vers 2030 a l’Amerique au sommet du monde. Ces deux geants sont entoures d’allies dont la taille de la population est a peu pres similaire, mais dont les niveaux de richesse sont sensiblement differents. L’Occident est entoure par le monde developpe et, lors du dernier sommet du G7 en 2022, l’alliance des pays appartenant au regime democratique liberal a ete annoncee, a savoir le Royaume-Uni et d’autres pays anglo-saxons tels que le Canada et l’Australie, mais aussi le Japon et, bien sr, l’Europe. En revanche, la Chine, qui a rassemble autour d’elle le monde en developpement et qui, grace a la route de la soie, s’adjoint constamment de nouveaux allies, est entouree de la Russie, de l’Asie centrale, de l’Iran, des pays arabes du Moyen-Orient et de nombreux pays d’Afrique et d’Asie du Sud-est [note 2].
Des bouleversements geopolitiques, economiques et ideologiques de grande ampleur, qui ont eu lieu avant l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, ont creuse un fosse infranchissable entre ces deux camps, identifiant differentes possibilites de developpement, de croissance, de choix, d’alliances et de domination internationale pour chacun d’entre eux. Parmi d’autres evenements, je mentionne, a titre d’exemple et en raison de leur pertinence pour la guerre en Ukraine, l’expansionnisme recent de l’Occident, avec la provocation de conflits contre la Yougoslavie, l’Irak, la Libye et la Syrie, et le retrait dramatique des Etats-Unis d’Afghanistan, livrant ce pays aux talibans. Il convient de mentionner tout particulierement les recents developpements au niveau mondial dans la decision d’abandonner la mondialisation, qui a ete la vision du monde regulatrice du commerce international pendant pres d’un demi-siecle. La decision de de mondialisation a ete officiellement annoncee lors du 53e Forum economique de Davos [Le Monde, 18/1/23]. Il convient de rappeler ici que la mondialisation a ete concue par l’Amerique dans l’espoir qu’elle assurerait la poursuite sans heurts de sa domination mondiale (contre l’Europe et le Japon, qui la menacaient alors). Mais les espoirs places en elle par les Etats-Unis ont ete decus, car le resultat dominant de la mondialisation a ete, en fin de compte, la sortie de l’ombre de la Chine et son emergence en tant que grande puissance emergente sur la planete.
Et aujourd’hui, quelque cinq decennies plus tard, depuis la prevalence de la mondialisation, c’est a nouveau l’Amerique qui abolit cette fois le regime de commerce international qu’elle avait mis en place. La menace qui pese desormais sur la domination americaine ne vient plus de l’Europe et du Japon, qui lui ont ete annexes depuis longtemps, mais de la Chine. Outre la concurrence intense entre les Etats-Unis et la Chine, qui se situe principalement au niveau des developpements de haute technologie, la decision d’abandonner la mondialisation, a l’initiative des Etats-Unis, s’explique egalement par les experiences de la pandemie, qui ont mis en evidence les risques tres graves d’une forte dependance a l’egard des importations pour les denrees alimentaires de base et les produits industriels importants, ainsi que pour les pieces detachees.
Il devrait donc etre clair que cette guerre ne concerne pas seulement et exclusivement l’Ukraine et la Russie, car l’interet intense de l’Occident et du Sud pour son issue ne nous convainc pas que tout commence et continue simplement parce que “l’Ukraine est un pays democratique”, tandis que, au contraire, “la Russie a un regime de democratie il liberale” et que cette derniere doit donc etre rayee de la surface de la terre. La guerre en Ukraine a mobilise la quasi-totalite du monde et constitue un avant-gout d’une possible troisieme guerre mondiale, si la prudence ne l’emporte pas entretemps, afin d’eviter le desastre. En attendant, il est clair que l’interet de l’Occident, dont la forme et les parametres sont decides par l’Amerique, se concentre beaucoup moins sur le contenu et la dose respective de la democratie appliquee dans les deux camps en guerre, que sur la question de savoir qui dirigera le monde dans quelques annees.
Apres tout, l’ennemi numero un de l’Amerique, et donc de l’Occident, n’est pas la Russie, meme si elle est detestee, mais la Chine, qui menace de prendre le contre de l’empire americain apres quelque 80 annees de domination continue. C’est ce qui explique, entre autres, le financement somptueux de l’Ukraine par les Etats-Unis, tout en detruisant toutes ses infrastructures [note 3]. Cette guerre cauchemardesque n’a, pour l’instant, pas de vainqueur certain, mais elle explique les sanctions et blocages commerciaux de la Chine de et vers le monde exterieur, qui concernent principalement les produits de haute technologie, et que des mesures similaires soient appliquees par les Etats-Unis en ce qui concerne le developpement et les progres de l’intelligence artificielle, car l’issue d’une eventuelle guerre a l’avenir dependra de qui aura le dessus dans ces nouvelles technologies. Il n’est pas possible aujourd’hui, comme il y a quatre ans lorsque j’ai pose la meme question dans un article, de predire avec certitude si cette Troisieme Guerre mondiale, qui dure depuis longtemps, se produira dans un avenir proche ou lointain [Negreponti-Delivanis, 2018]. Toutefois, je suis enclin a affirmer qu’en raison de l’Ukraine, le risque de voir cette guerre eclater est plus probable de nos jours qu’en 2019 [Negreponti-Delivanis, 2018].
Dans mon introduction, je tenterai de demeler certains aspects, developpements et consequences de cette guerre qui, a mon avis, sont consideres comme acquis ou apparaissent avec des interpretations eloignees de la realite. Certains aspects de cette tentative risquent d’etre percus par l’Occident comme des positions d'”avocat du diable”. Je crois cependant qu’une interpretation objective des evenements constitue l’aide la plus precieuse possible pour comprendre et tenter de resoudre les problemes qui nous
preoccupent, par opposition a l’image facile mais superficielle que nous offre la tentative systemique de nous informer.
Dans les deux parties du corps de mon article, j’examinerai d’abord le declin de l’Occident, puis les reactions des peuples face aux consequences de cette monarchie ideologique et je terminerai par des conclusions generales.
Partie I. Le declin de l’ouest et la montee de l’est
La guerre en Ukraine a, pour la deuxieme fois [note 4], clairement confronte deux civilisations differentes. Celle de l’Occident, fondee sur la democratie liberale, et celle de l’Occident qui se deploie a travers le regime capitaliste, fonde sur le respect des droits individuels, la liberte d’expression et la libre circulation des biens, des services et des idees (mondialisation). Cette civilisation occidentale defend en outre les valeurs fondamentales de la vie, telles que la religion, l’histoire, le patriotisme et la famille. Face a cette civilisation, il y a un ensemble de pays qui, selon l’Occident, vit sous un regime condamnable de democratie illiberale, et qu’il faut eliminer par tous les moyens, meme s’il faut recourir aux armes [Negreponti-Delivanis, 2004: 327]. Il est clair que l’Occident ne reconnait aucune autre civilisation que la sienne, et tente par tous les moyens de l’imposer au monde entier, alors qu’il semble convaincu qu’elle seule assurera le bonheur et le destin de l’humanite.
Le bloc des pays occidentaux, comme nous l’avons deja mentionne, comprend des economies riches et avancees, tandis que le bloc oriental, en revanche, comprend des pays plus pauvres qui sont sur la voie du developpement. Cette comparaison, dans le domaine economique, mais pas seulement, revele de fortes tendances au declin dans le cas de l’Ouest, alors qu’elle assure au contraire des taux de croissance et de progres rapides dans le cas de l’Est.
A. Indices de declin a l’Ouest
La mondialisation a ete le regime du commerce international, qui s’est maintenu pendant environ un demi-siecle. Mais la concurrence intense entre les Etats-Unis et la Chine, visant a prendre des mesures pour ralentir la croissance chinoise, et la pandemie, qui a fait prendre conscience des dangers de la dependance a l’egard des importations de biens de premiere necessite, ont conduit a son renversement. La decision de de mondialisation, annoncee officiellement lors du 53e Forum economique de Davos [Le Monde, 18/1/23], a fait place a un regime protectionniste. Depuis quelques annees, l’Occident montre des signes de declin a tous les niveaux, a commencer par le declin demographique et le vieillissement de sa population, en particulier en Europe, puis la desindustrialisation et des inegalites de repartition sans precedent, l’appauvrissement et le retrecissement de la classe moyenne, la reduction substantielle du pouvoir d’achat des salaires, la montee de l’inflation, la prise de conscience (a la suite de la guerre en Ukraine) de la dependance de l’Occident, non seulement et exclusivement a l’egard des sources d’energie essentielles, mais aussi a l’egard des denrees alimentaires de base et des produits issus des nouvelles technologies. Le declin de l’Occident, outre ses manifestations demographiques et economiques, a progressivement ronge la resonance des valeurs occidentales dans le reste du monde.
Toutefois, ces developpements ne semblent pas decourager l’Occident, l’UE etant un porte-parole frequent, engage dans la construction d’un neo-nationalisme, comme le montre, entre autres, la declaration suivante de J. Borrell, vice-president de la Commission europeenne : “nous avons construit un jardin qui reunit liberte politique, prosperite economique et cohesion sociale. Le reste du monde ou la majeure partie du reste du monde, c’est la jungle” [note 5]. Le probleme reside donc dans l’arrogance de l’Occident, qui considere qu’il a non seulement le droit, mais aussi le devoir d’imposer ses propres valeurs, celles de la democratie liberale, au reste du monde, meme par les armes si necessaire.
L’un des indicateurs les plus importants du declin d’un pays ou d’une region, annonciateur d’une stagnation permanente, est le declin cumulatif de la part du revenu par habitant de l’Occident dans le monde, par rapport a celui de l’Orient. Ce declin entraine des changements sur l’echiquier international en supprimant ou en ajoutant de l’importance au niveau international. Certaines des consequences attendues peuvent etre resumees comme suit :
L’annee 2022 semble etre la derniere de la domination americaine. En 2050, l’Amerique sera deuxieme dans la hierarchie mondiale, tandis que la Chine aura pris la premiere place. Parmi les economies europeennes en 2050, l’Allemagne sera classee 5e en importance (contre 3e en 2022), le Royaume-Uni sera passe de la 5e place en 2022 a la 7e place, et la France sera passee de la 7e place en 2022 a la 9e place.
Pour l’annee 2075, des renversements encore plus spectaculaires sont prevus. Tout d’abord, la position de l’Amerique se degradera, puisqu’elle aura perdu sa deuxieme place en termes de PIB, face a l’Inde qui l’aura prise. Et parmi les economies europeennes, seules trois devraient rester dans le top 15 des pays les plus riches, mais avec un deplacement vers le bas de la hierarchie internationale : l’Allemagne est numero 9, le Royaume-Uni numero 10, tandis que la France est releguee dans les 15 derniers [note 6].
Entre 2016 et 2050, la Chine devrait gagner 20 % supplementaires du PIB mondial. L’Amerique, quant a elle, perdra respectivement 12 %. L’Europe des 27 perdra 9 % et l’Inde gagnera 15 % du PIB mondial [note 6].
En 1995, les sept economies les plus fortes du monde etaient les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon, le Canada, la France, l’Allemagne, le Japon et l’Italie. D’ici 2040, on prevoit que les pays au sommet du monde seront la Chine, l’Inde, l’Indonesie, le Bresil, la Russie, le Mexique et la Turquie [note 6], tandis que les economies emergentes du Viet Nam, des Philippines et du Nigeria se hissent rapidement sur l’echelle internationale des principaux pays du monde, grace a la realisation de taux de croissance economique rapides.
Un autre aspect du dangereux declin de l’Occident est la baisse du taux de natalite, c’est-a-dire la contraction demographique, combinee au vieillissement de la population.
La population mondiale devrait atteindre 8 milliards d’habitants en 2030, avec un declin parallele dans les economies avancees. La population europeenne diminuera et ne representera plus que 4,3 % de la population mondiale. Le degre de prosperite s’averera probablement une raison d’augmenter ou d’eviter une perte de population significative. En particulier, la prosperite des economies individuelles est attribuee a la croissance demographique prevue en France, en Suede et en Irlande. Il convient toutefois de noter que, pour Samuel Huntington [1997 : 338], le declin de l’Occident est davantage da la corruption, a la decadence morale et aux frictions politiques qu’au declin demographique.
D’autres aspects du declin de l’Occident, qui renvoient a l’essor et au declin des civilisations [Spengler, 1918], completent le tableau de son declin [Negreponti-Delivanis, 2018]. Entre autres indications, on note des tendances a l’autoritarisme, voire a la tyrannie, dans le comportement des gouvernements occidentaux. Les gens se desinteressent des etudes et ne se preoccupent pas suffisamment des developpements, meme lorsque leur degre de prosperite depend de leurs resultats. Le constat le plus dramatique, qui est plus clair pour l’Europe que pour les Etats-Unis, est peut-etre la tendance des peuples a se couper de leurs racines, de leur mythologie, de leur histoire et des fondements de leur civilisation, et donc a mourir a petit feu. Je pourrais meme mentionner que les developpements de l’immigration de masse en Europe pourraient facilement etre consideres comme une realisation des vues bien connues de Coudenhove Kalergi sur la necessite d’ouvrir largement les frontieres europeennes afin d’accepter des immigrants de toutes les couleurs, formant ainsi une race amorphe a l’avenir [note 7].
En ce qui concerne les signes plus limites de declin dans le secteur economique, ils sont nombreux et particulierement inquietants. Le plus important est l’augmentation inconcevable des inegalites de distribution, qui a ete accueillie avec une tolerance et une indifference totales de la part de l’Occident au cours du demi-siecle de mondialisation. J’en cite quelques-unes parmi les plus representatives [Artus, Virard, 2000]:
Les 50 Americains les plus riches possedent 2 000 milliards de dollars, et ce montant depasse les revenus de 165 millions de pauvres. Des evolutions similaires sont observees en Europe.
Dans le meme temps, l’insecurite, le gel des salaires et la pauvrete sont au rendez-vous. Le revenu moyen aux Etats-Unis etait de 18 000 dollars en 1980 et de 18 500 dollars en 2020.
L’investissement pendant la periode de mondialisation n’a represente que 7 % de l’indice emblematique de la Bourse de New York, le reste etant consacre a la distribution de dividendes, au rachat d’actions et aux salaires astronomiques des dirigeants.
Le capitalisme, pendant la periode de mondialisation, est passe d’un folklore d’epargnants a un folklore speculatif et elitiste, associe a un taux de chage eleve et a une stagnation economique.
En conclusion, la mondialisation a eu des consequences dramatiques pour l’Occident, qui a accelere son declin, alors qu’au contraire, elle a contribue a l’essor plus rapide de l’Orient.
. Et l’essor de l’Est
Avec ou sans l’aide de la Chine, le monde en developpement, qui n’a pas adopte le regime de la democratie liberale, connait neanmoins une croissance rapide.
Bien que le declin de l’Occident et la montee rapide de l’Orient aient implique deux visions du monde concurrentes, celle de la democratie liberale et celle de la democratie illiberale, je pense que toute tentative de tirer une conclusion quant a l’existence d’une relation de cause a effet entre la vision du monde appliquee et les taux de croissance des economies relevant de chacune d’entre elles devrait etre evitee. Au contraire, je rappellerai qu’il existe des limites temporelles dans la duree de vie des civilisations et de leurs visions du monde qui ne peuvent etre depassees [note 8]. L’Occident, bien que compose d’economies a differents stades de developpement, atteint le seuil de la maturite economique, ce qui signifie qu’a proximite ou au-dela de ce seuil, les taux de croissance ralentissent et que la stagnation est a nos portes. Les consequences de l’epidemie doivent egalement etre soulignees dans ce contexte, independamment du fait que l’image adoptee par le monde etait reelle ou non. Quoi qu’il en soit, l’attaque du virus a contribue a la decision d’abandonner la mondialisation. Toutefois, outre cette decision cruciale, il convient de mentionner une deuxieme decision d’egale valeur, mais dont l’importance est probablement moindre, voire insignifiante, par rapport a la decision d’abandonner la mondialisation. Il s’agit de la decision du leader planetaire americain Biden, qui a deja commence a etre mise en .uvre, ainsi que de celle de l’UE, a savoir tenter un nouvel effort d’industrialisation afin de reduire la dependance a l’egard des importations en provenance de pays hostiles. Dans ce contexte, le president americain a recemment annonce un gigantesque programme d’investissements publics de quelque 400 milliards de dollars, visant a reduire la dependance vis-a-vis de la Chine et a “construire la meilleure economie du monde” [Negreponti-Delivanis, 2023a]. Des actions similaires
sont envisagees en Europe. Cependant, ces efforts semblent sans issue et peut-etre meme
utopiques, principalement parce que les conditions qui prevalent aujourd’hui dans les
economies modernes ne sont pas propices au retablissement d’une production industrielle
de masse au niveau national. Parmi les raisons qui expliquent l’absence de perspectives favorables a un tel effort, on peut citer le declin de l’emploi industriel de qualite au profit d’emplois a faible productivite dans le secteur des services, la tres faible tendance a l’innovation dans l’industrie, la necessite d’un soutien de l’Etat qui est incertain a l’Ouest, etc. [The Economist, 2023]. Malgre les faibles chances de succes d’une nouvelle industrialisation, l’Occident est dans une position si difficile qu’il est loin d’etre certain qu’il ne se tournera pas vers cette solution.
Partie II. Les reactions contre l’occident
Les consequences tres defavorables de la mondialisation pour les peuples occidentaux, en particulier pour les classes moyennes et pauvres, mais aussi pour les paysans et les ouvriers, ont suscite une forte reaction contre leurs gouvernements. Les accusations dominantes a leur encontre sont qu’ils ne se preoccupent que des riches et des tres riches, c’est-a-dire de la soi-disant elite, qu’ils favorisent grace a la redistribution sans precedent des revenus en leur faveur, qu’ils consentent a l’affaiblissement de l’Etat providence, qu’ils favorisent l’immigration de masse et l’immigration illegale, qu’ils limitent la democratie, mais aussi qu’ils meconnaissent les valeurs fondamentales de la vie.
. Le populisme et les valeurs fondamentales de l’Occident
La reaction des peuples occidentaux contre les partis politiques traditionnels (systemiques) a ete a l’origine de l’emergence de nouveaux partis politiques, apparus a la peripherie de l’Europe (et au-dela) depuis une vingtaine d’annees. Leur portee se poursuit, deplacant de plus en plus de partis traditionnels. L’interet marque pour ces nouveaux partis s’explique par le fait que la menace d’un retrecissement des partis traditionnels est devenue de plus en plus aige.
Le vif interet pour ces nouveaux partis s’explique par le fait que la menace d’un recul des partis traditionnels ne se limite plus a la prise de pouvoir consolidee en Hongrie et en Pologne, mais s’etend a l’ensemble du monde. En Europe en particulier, outre la Hongrie et la Pologne, l’Italie a recemment ete gouvernee par des partis populistes, et de nombreux signes indiquent qu’un changement dans l’equilibre des pouvoirs est imminent en France, en Autriche, aux Pays-Bas, en Suede et en Finlande, et meme en Allemagne. En outre, les coalitions de partis populistes ont un impact significatif sur les developpements politiques, economiques et sociaux dans toute l’Europe (et non seulement, mais aussi a des degres divers, dans le monde entier) [note 9]. Il convient de noter qu’une etude connexe attribue la genese du populisme aux faibles taux de croissance dans les pays occidentaux apres 1985 [Yascha, 2018].
a) Le chaos ideologique prevaut
Les caracteristiques de ces nouveaux partis different considerablement de celles de leurs homologues traditionnels, de droite, centristes et de gauche. Cette nouvelle tendance en Europe a ete enregistree depuis la fin de la crise financiere de 2008. Effrayee, l’UE, et pas seulement l’UE, apparemment depourvue de mesures efficaces pour faire face a cette maree politique, a eu recours a l’utilisation generalisee d’etiquettes visant a se moquer, a retrograder, a ridiculiser ou meme a souligner le danger presume de ces partis politiques nouveaux et emergents.
Parmi les etiquettes lancees sans discernement contre ces partis nouvellement formes, celles d'”extreme droite”, de “populiste”, de “conservateur”, de “non progressiste”, de “retrograde” et de “dangereux pour la democratie” predominent. Dans le meme temps et a l’occasion, l’attaque de l’UE contre eux comprend l’imposition de sanctions (voir Hongrie et Pologne).
Permettez-moi de rappeler ici que les partis politiques de droite traditionnels sont ceux qui embrassent le liberalisme, l’austerite, la non-intervention de l’Etat dans l’economie et qui se font generalement l’echo de la politique macroeconomique etablie par l’UE. En revanche, les partis dits populistes adoptent une politique interventionniste en faveur des plus faibles economiquement, sont opposes a la mondialisation et attachent de l’importance au patriotisme. En outre, les partis populistes sont theoriquement a la fois de droite et de gauche, bien que cette distinction classique soit devenue floue. En fin de compte, les differences entre eux sont minimes et concernent principalement la politique d’immigration. Dans le processus, les partis populistes de droite semblent l’avoir emporte, probablement parce que les partis de gauche se sont reveles inefficaces au cours de la longue periode de mondialisation.
Par ailleurs, l’ensemble des partis non systemiques s’oppose a l’elite, vise un Etat interventionniste afin de mettre en .uvre la redistribution des revenus, se declare contre l’austerite perpetuelle et les formes extremes de liberalisme, et est generalement en faveur de l’Etat-nation et des valeurs fondamentales de la vie. En particulier, les partis non systemiques de droite et de gauche sont favorables a une repartition plus equitable des revenus, a l’interventionnisme dans l’economie, a l’Etat-nation et, en general, les partis nouvellement formes promettent de faire tout ce que les partis systemiques ont promis et n’ont pas reussi a faire.
Par consequent, les accusations neanmoins generalisees des partis traditionnels a l’encontre des partis non systemiques sont infondees en ce qui concerne leurs preferences programmatiques. En conclusion, ces accusations sans fondement contre les nouveaux partis politiques emergents sont formulees et soutenues par les partis traditionnels craintifs, parce qu’ils sont progressivement detres par les partis non systemiques.
Les accusations contre ces nouveaux partis politiques se concentrent – entre autres -sur le fait que leur “degre de foi religieuse depasse les bornes”, “leur degre de patriotisme depasse ce qui est tolerable”, leur “dangereux degre d’adhesion aux valeurs traditionnelles” et, plus specifiquement, a l’institution de la famille classique. Ce qui est incomprehensible dans l’opposition des partis politiques traditionnels aux partis politiques non traditionnels, c’est que les premiers accusent les seconds de croyances qui sont au c.ur de leurs propres convictions, mais dont ils s’eloignent maintenant subtilement et resolument pour soutenir le contenu du multiculturalisme.
Dans le meme temps, la distinction entre progressisme et retard est deliberement maintenue dans ces categories. Sans plus d’explications, il est toutefois evident que les partis politiques traditionnels appartiennent a la categorie des progressistes, tandis que les partis non systemiques sont collectivement places dans la categorie des regressifs et des retrogrades (bien qu’ils soient ceux qui tentent de sauver les valeurs fondamentales de la vie).
Et c’est precisement ici, a ce stade, que se pose une question d’une importance primordiale dont la reponse n’est pas encore resolue. Il s’agit du contenu du multiculturalisme [note 10]. Bien que, selon toutes les indications, le multiculturalisme ait ete adopte par l’Occident, et en particulier par l’Europe, il est loin d’etre evident qu’il soit compatible avec les valeurs fondamentales de la vie en Occident. Il est inevitable qu’une certaine confusion conceptuelle se produise, soulevant de serieux doutes sur ce qu’il represente, et surtout sur la maniere dont l’Occident applique ses croyances fondamentales. Ce sont precisement ces croyances qui ont toujours ete brandies comme le drapeau de la superiorite supposee de l’Occident sur toutes les valeurs differentes des autres cultures. Ce contenu de la democratie liberale est la principale justification des guerres de l’Occident contre les peuples qui ne l’adoptent pas. Et ce sont precisement ces doutes, renforces dangereusement par les evenements inexplicables de la guerre en Ukraine, qui rendent incomprehensible la declaration de l’Occident selon laquelle “les pays de l’Occident sont lies entre eux pour defendre les valeurs universelles qui fondent l’ordre liberal dans le monde”. Il est donc raisonnable de se demander quelles sont exactement ces valeurs universelles de la democratie liberale, dont la defense justifie meme les guerres.
Ce recent chaos ideologique donne a Poutine l’occasion de se presenter comme le protecteur des valeurs humaines fondamentales [note 11], qui sont pourtant censees etre embrassees par l’Occident, qui s’en sert comme excuse pour mener des guerres, mais que (selon le dirigeant russe) il a trahies. En effet, les riches democraties occidentales defendent les interets des oligarques, tandis que le reste du monde est au service des valeurs fondamentales de la vie.
b) Ce qui n’est pas l’Occident “nuit a la democratie”
L’Occident, sous la banniere de la democratie liberale, condamne l’ensemble du reste de l’humanite, centre sur la Chine et la Russie, comme n’etant pas democratique, et affirme en meme temps qu’il faut tout faire pour que le monde entier adhere au modele occidental de civilisation.
Mais de quel type de democratie s’agit-il ? Il ne fait aucun doute que la democratie est le meilleur moyen de gouverner un pays. Malheureusement, au cours des dernieres decennies, elle a recule et a parfois ete persecutee. C’est l’une des nombreuses consequences du declin de l’Occident, qui se retourne contre ses propres valeurs, celles qu’il pretend defendre et pour lesquelles il pretend se battre. Le principal responsable de l’abus de democratie n’est pas l’existence de partis non systemiques, comme tentent de le pretendre les partis systemiques, mais des evolutions plus generales qui bouleversent le statu quo de notre planete. Il n’est donc pas du tout certain que les consequences de la gouvernance des partis populistes soient pires pour les citoyens que celles des partis traditionnels.
Voici quelques resultats d’enquetes recentes concernant la democratie [Negreponti-Delivanis, 2023b] :
Au cours des 15 dernieres annees, la democratie s’est deterioree dans 73 pays du monde, alors qu’elle ne s’est amelioree que dans 28 pays.
Aux Etats-Unis, 40 % des republicains estiment que, dans certaines circonstances, il est legal de recourir a la violence contre le gouvernement.
La democratie est en declin dans la moitie des pays democratiques du monde. En Europe, 46 % des democraties se sont erodees au cours des cinq dernieres annees.
En 2002, seuls 13 pays dans le monde etaient soumis a un regime autoritaire ; en 2022, ce nombre est passe a 43.
En resume, seulement 6,4 % de la population mondiale vit dans une democratie complete, 39,3 % dans une democratie imparfaite et 17,2 % dans une democratie hybride. Les 37,1 % restants de la population mondiale vivent dans des regimes democratiques il liberaux.
A la lumiere de ces donnees, il convient de se demander si l’hostilite de l’Occident a l’egard du monde non occidental parce qu’il n’est pas assez democratique et, surtout, les guerres menees sous la banniere de la democratie sont justifiees. De plus, la focalisation de l’interet occidental sur la distinction entre democratie liberale et il liberale ne peut que susciter non seulement la surprise mais aussi des reactions diverses, alors que la planete est menacee par des phenomenes climatiques extremes, par le danger imminent d’epidemies, par les consequences sombres de l’IA, mais aussi par la destruction totale, par la Troisieme Guerre mondiale.
En outre, les Etats-Unis affirment que les regimes non democratiques prevalent contre la volonte de leurs citoyens, qui prefereraient etre gouvernes par une democratie liberale, mais que leurs elites imposent des regimes autoritaires. Cependant, des recherches pertinentes menees par l’Institut Bennett de Cambridge contredisent ces croyances et montrent au contraire que les valeurs fondamentales n’ont pas change du tout dans les economies en developpement depuis la chute de Berlin en 1990, contrairement a ce qui s’est passe dans les economies deja developpees [Douthal, 2023].
. La portee mondiale des Etats-Unis se reduit
Le prestige qui entourait les Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’a une date recente semble se ternir et etre remplace par un mecontentement plus general a l’egard des tentatives visant a soustraire les Etats-Unis a leur influence.
a) Vers un nouvel ordre international
Bien qu’il soit premature d’affirmer qu’un nouvel ordre international se profile a l’horizon, ce point de vue est renforce par plusieurs developpements sur la scene internationale, notamment la tendance recente a l’abandon des anciens allies des Etats-Unis qui tendent la main a la Chine ou meme a la Russie. Ces revirements s’expliquent par la volonte de ces Etats de se ranger aux ces des futurs dirigeants du monde contre les Etats-Unis et leur insistance a imposer le regime de la democratie liberale comme le seul tolere a l’echelle mondiale.
Plus precisement, l attaque russe contre l Ukraine, il y a environ un an et demi, a rallie les citoyens des economies democratiques avancees contre la Russie. Et la meme chose s est produite avec la Chine, non seulement parce qu elle s est rangee du ce de la Russie, mais aussi parce qu elle n est pas democratique. Il n en va toutefois pas de meme dans les economies en developpement, dans lesquelles l opinion publique a l egard de la Russie semble s ameliorer et augmenter. Un certain nombre de developpements mettent en evidence ce changement, notamment la volonte d acheter de l energie russe en Asie et en Amerique latine, la vente secrete d armes a la Russie par l Egypte et la recente reduction du nombre de pays condamnant la Russie pour l attaque contre l Ukraine [note 12]. La diplomatie chinoise, qui a assume le rle d artisan de la paix au Moyen-Orient et s est rapprochee des allies traditionnels de l Occident, comme l Arabie Saoudite, a contribue de maniere significative a limiter le degre initial d isolement de la Russie. En outre, l Amerique risque d etre isolee de ses allies et partenaires commerciaux en raison de son insistance a condamner les pays dont le systeme politique est autre que la democratie liberale [note 13] (malgre son influence mondiale en declin). Il convient
egalement de souligner en ce qui concerne la position mondiale de la Russie, son alliance recente et cruciale avec l Arabie Saoudite, en matiere petroliere. L Arabie Saoudite, partenaire proche des Etats-Unis depuis 1945, se tourne deja vers Moscou dans sa tentative de devenir independante de Washington. Les deux pays, membres de l OPEP, menacent avec leur alliance ceci, qui est dirige contre l Amerique, pour lui creer de serieux problemes,
avec la flambee du prix du petrole [note 14]. Du ce de la Russie, cette alliance renforce considerablement sa position dans l economie mondiale, refutant les scenarios de son isolement. En outre, un autre accord cle de 60 milliards de dollars a ete conclu
recemment entre la Chine et le Qatar, qui garantit a la Chine, pendant 27 ans, l exploitation
vers elle de 4 millions de tonnes de gaz naturel liquefie par an. Un accord qui renforce considerablement le re de la Chine, mais aussi de la Russie en tant qu allie proche,
au Moyen-Orient, mettant ainsi a l ecart les grandes entreprises energetiques occidentales. Cette alliance renforce considerablement sa position dans l economie mondiale, refutant
les scenarios de son isolement. Il convient egalement de noter qu une partie importante du monde ne voulait se ranger ni du ce de l Occident, ni du ce de Moscou. Concretement, en mars 2022, sur les 54 pays africains, 25 ont refuse de prendre position, lors du vote, contre la Russie, malgre les tres fortes pressions de l Occident et de l Otan. Et, dans le meme temps, dans le prolongement de la mondialisation, une forme nouvelle et parallele semble emerger, que l on pourrait appeler multi mondialisation. C’est-a-dire de nombreux centres, qui attirent une partie des entreprises confrontees a des problemes a cause de la pandemie. L un de ces nouveaux centres de mondialisation semble etre le Mexique, qui rassemble des entreprises americaines issues d une Chine en difficulte [Goodman, 2023]. Bien que les previsions concernant l image que prendra le futur ordre international, tel qu il sera faconne par les developpements futurs, ne soient pas claires pour le moment, les points suivants peuvent neanmoins etre soutenus :
La ferme conviction du passe selon laquelle la democratie liberale apporte des solutions a tous les problemes a considerablement recule.
La mondialisation, telle qu’elle a prevalu au cours des 50 dernieres annees, est revolue. Sa place sera prise par d’autres projets, qui incluront des restrictions a la liberte de commerce, des politiques protectionnistes, plus d’un centre de leadership.
Au sommet du nouvel ordre international ne se trouveront plus les Etats-Unis, mais les economies emergentes de l’Est. La question qui semble se poser, pour l’instant sans reponse, est de savoir si le sceptre du monde sera tenu par la Chine seule ou si elle en cedera une partie a d’autres economies puissantes, comme les
Etats-Unis, l’Inde et, plus tard, probablement, les economies emergentes. Pays africains. Comme choix le plus probable pour la Chine, je choisirais la seconde.
b) Efforts de de dollarisation et de de dependance de la part des Etats-Unis [note 15]
Le sommet des BRICS, qui s’est reuni a Johannesburg du 22 au 24 aout 2023, a fixe comme principaux themes du sommet la de dependance a l’egard de l’Occident, grace a la formation d’une nouvelle gouvernance mondiale, ainsi que l’effort de de dollariser. Cette reunion a reuni le Bresil, la Russie (avec le ministre des Affaires etrangeres Serguei Lavrov, car Poutine risquerait d’etre arrete en dehors de la Russie), la Chine et l’Afrique du Sud. En outre, six autres pays, l’Argentine, l’Iran, l’Arabie du Sud, l’Egypte, l’Ethiopie et les Emirats arabes unis, ont recu une invitation officielle a la reunion et ont officiellement rejoint les BRICS, tandis que 40 autres pays ont exprime leur desir de devenir membres. Rejoindre le bloc de ces pays producteurs de petrole signifie contrler environ la moitie de la production mondiale de petrole. Les BRICS, donc, sont en train de devenir un deuxieme pe mondial important, susceptible de concurrencer l Occident. L effort de de dollarisation, entame il y a quelques annees, avec l etroite cooperation de la Chine et de la Russie [Negreponti-Delivanis, 2018 : partie II, capitre1B], et qui rallie deja d autres pays, vise a rendre, autant que possible, leurs transactions monetaires independantes du dollar. Les actions et accords concernes se sont deroules jusqu a present avec une discretion particuliere, dans le but d eviter des reactions americaines significatives, et ont remporte plusieurs succes. Pour cette raison, le sommet des BRICS, avec l’un des themes principaux, celui de la de dollarisation, est une introduction a une nouvelle ere plus dangereuse pour la monnaie de reserve mondiale, jusqu’a present. Avec l’etroite cooperation de la Chine et de la Russie, et qui rallie deja d’autres pays pour viser, dans la mesure du possible, l’independance de leurs transactions monetaires par rapport au dollar. Les actions et accords concernes se sont deroules jusqu a present avec une discretion particuliere, dans le but d eviter des reactions americaines significatives, et ont remporte plusieurs succes. Pour cette raison, le sommet des BRICS, avec l’un des themes principaux, celui de la de dollarisation, est une introduction a une nouvelle ere plus dangereuse pour la monnaie de reserve mondiale, jusqu’a present. Avec l’etroite cooperation de la Chine et de la Russie, et qui rallie deja d’autres pays pour viser, dans la mesure du possible, l’independance de leurs transactions monetaires par rapport au dollar. Les actions et accords concernes se sont deroules jusqu a present avec une discretion particuliere, dans le but d eviter des reactions americaines significatives, et ont remporte plusieurs succes. Pour cette raison, le sommet des BRICS, avec l’un des themes principaux, celui de la de dollarisation, est une introduction a une nouvelle ere plus dangereuse pour la monnaie de reserve mondiale, jusqu’a present.Dans leur tentative d eviter une reaction negative importante des Etats-Unis, et ils ont remporte plusieurs succes.
Conclusion
L interpretation de cette nouvelle division du monde, apparue avec la guerre en Ukraine, se heurte a d importantes difficultes. Et ce, non seulement parce que les causes de cette nouvelle division sont nombreuses, mais surtout parce qu il existe une volonte claire d etouffer les plus representatives d entre elles. Comme on le sait, l explication officielle de la division, presentee de toutes les manieres possibles par les Etats-Unis et avec laquelle l Occident tout entier semble etre d accord, se situe dans le regime de la democratie neoliberale. C’est le seul regime, selon l’Occident, qui assure tout ce dont l’humanite a besoin, et c’est pourquoi il doit etre impose, par tous les moyens possibles, egalement dans la partie du monde qui ne l’a pas encore adopte.
La rivalite entre l’Occident et le reste du monde (a l’exclusion de la partie du monde qui a choisi la neutralite) se situe ainsi dans l’obligation sacree de l’Occident, qui n’est pas seulement appele a defendre la democratie liberale, au niveau mondial, mais aussi de l imposer par tous les moyens disponibles, obligeant les pays gouvernes par des regimes democratiques hybrides, voire il liberaux, a l adopter.
Cette exigence des Etats-Unis s explique, mais n est pas justifiee, par le fait qu apres
1945, le monde marche sur la base des directives americaines. Et on peut egalement
affirmer que la culture occidentale est unique, contrairement aux autres cultures, car elle
existe depuis les annees 1500 et a fonde l effort d industrialisation et de modernisation
de l Occident, tout en etant imitee par d autres cultures [Huntington, 1997 : chapitre 12].
Cependant, l’importance reelle de la civilisation occidentale ne justifie pas l’insistance des Etats-Unis, soutenus par l’ensemble de l’Occident, a vouloir l’imposer, meme a des pays qui resistent fermement a son adoption, et encore moins a etre l’explication de
conflits, en l’occurrence la generalisation extremement dangereuse de la guerre en Ukraine. Outre le fait que l’Occident, comme nous l’avons vu dans la partie I. A du present essai, est entre dans une phase de decadence avancee, l’exigence d’imposer sa propre civilisation a des pays qui n’en veulent pas, et qui appartiennent a une autre, est contraire a la democratie, car elle abolit le droit fondamental du libre choix, et aussi de la tradition. De plus, cet argument de l’Occident manque de serieux, a savoir qu’il est
justifie de s’engager dans une serie de guerres, et donc de provoquer des sacrifices humains
et une enorme hemorragie economique, simplement pour agir en “missionnaire” et ramener dans le droit chemin des populations qui se sont egarees sur des sentiers peu recommandables en dehors de la democratie liberale.
Reagissant a cette interpretation generalisee de l Occident, la Chine et la Russie
[note 16] affirment au contraire que leur interet pour la democratie liberale, qui justifierait
les guerres contre ceux qui ne l adherent pas, est hypocrite. Ces deux superpuissances estiment que l Occident, dans son ensemble, s efforce d etablir une hierarchie aux racines imperialistes et a la suprematie de la race blanche [Institut Bennett, 2022].
Comme nous l avons deja souligne immediatement plus haut, les causes de la division entre l Occident et le reste du monde sont multiples, difficiles a saisir, car il y a souvent des chevauchements et, surtout, parce qu elles evoluent dans le temps. Cette division du monde, constatee pour la premiere fois en 1946 par le charge d’affaires americain a Moscou, George Kennan, qui, dans un long telegramme, informait ses superieurs a Washington que l’existence de visions differentes du monde, entre “Les dirigeants sovietiques et occidentaux n’assurent pas une coexistence pacifique”, n’avaitcertainement pas les memes fondements qu’aujourd’hui [note 17]. A l epoque, il s agissait d une rivalite pour la domination mondiale du capitalisme et non du communisme. Certes, cette rivalite initiale entre l Occident et le reste du monde avait pour objet la predominance mondiale d une ideologie, et pas seulement, mais aussi de la domination du pouvoir qui le represente. Neanmoins, l’absence de la Chine lors de cette confrontation anterieure a considerablement limite, voire reporte a une epoque lointaine, le risque de perte de l’hegemonie mondiale des Etats-Unis. Au contraire, dans le cas de la division moderne, il y a la certitude, sauf imprevu, que les Etats-Unis sont en train de perdre leur primaute dans le monde au profit de la Chine et, selon toutes les indications, ils sont convaincus que la seule arme efficace dont ils disposent contre c’est son drapeau, la democratie liberale. Ce drapeau, apres les evolutions nefastes qu il a subies, apparait non seulement affaibli, mais aussi peu efficace. Reduit considerablement, ou reporte a une date ulterieure, le risque de perte de l hegemonie mondiale des Etats-Unis. Au contraire, dans le cas de la division moderne, il y a la certitude, sauf imprevu, que lesEtats-Unis sont en train de perdre leur primaute dans le monde au profit de la Chine et, selon toutes les indications, ils sont convaincus que la seule arme efficace dont ils disposent contre c’est son drapeau, la democratie liberale. Ce drapeau, apres les evolutions nefastes qu il a subies, apparait non seulement affaibli, mais aussi peu efficace, reduit considerablement, ou reporte a une date ulterieure, le risque de perte de l hegemonie mondiale des Etats-Unis. Au contraire, dans le cas de la division moderne, il y a la certitude, sauf imprevu, que les Etats-Unis sont en train de perdre leur primaute dans le monde au profit de la Chine et, selon toutes les indications, ils sont convaincus que la seule arme efficace dont ils disposent contre c’est son drapeau, la democratie liberale. Ce drapeau, apres les evolutions nefastes qu il a subies, apparait non seulement affaibli, mais aussi peu efficace. La question, bien entendu, a laquelle la reponse est du plus grand interet maintenant, est de savoir comment cette division prendra fin, centree sur l issue de la guerre en Ukraine. Cette guerre n est pas au centre de la division, meme si elle risque de se reveler etre un prelude a la Troisieme Guerre mondiale, dont l issue revelera le prochain dirigeant du monde. La prolongation totalement injustifiee de cette guerre, malgre ses consequences tragiques, indique probablement que des deux ctes, la Troisieme Guerre mondiale n’a pas encore ete decidee comme la meilleure option pour resoudre cette division.
Si la Troisieme Guerre mondiale est evitee, la fin de la division du monde pourrait etre atteinte, de la meilleure facon possible, grace a l egalite de puissance des deux superpuissances, les Etats-Unis et la Chine, et peut-etre plus tard l Inde. Dans ce cas, le monde serait gouverne non pas par un, mais par deux centres de pouvoir, et plus tard par trois, avec l Inde en plus. Ce scenario est en principe soutenu par les evolutions attendues jusqu en 2100, car il met en avant deux, puis trois superpuissances de puissance a peu pres egale. Et ce scenario serait certainement la meilleure chose qui puisse arriver a notre planete.
Octobre 2023.
Bibliographie
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Douthal, Ross (2023), “How Biden could isolate America”, INYT, 14.04.2023
Goodman, Peter (2023), “After globalization may lead to Mexico”, INYT, 02.01.2023.
Huntington, Samuel (1997), Le choc des civilisations , Editions Odile Jacob, Paris.
Institut Bennett (2022), “Un monde divise : la Russie, la Chine et l’Occident”, 24 octobre.
Le Monde, A Davos, l’ombre de la demondialisation , 18/1/23
Negreponti Delivanis, Maria (2023a), “Greece in the complementarities of the new international economic order” Discours prononce lors de la 1ere Conference sur le developpement du transport vert et de la logistique, intitulee “Navigating the Future”, organisee le 17 fevrier 2023 par “Technoekdotiki / T-Press”, 22 mars 2023.
Negreponti-Delivanis, Maria (2023), “Systemic and antisystemic parties – The resin of populism”, Slpress 27.07.2023
Negreponti-Delivanis, Maria (2018), La fin de la domination economique de l’Occident et l’invasion de l’Orient , 269p. Publications de la Fondation Delivanis et Janos, et en francais aux Publications L’Harmattan.
Negreponti-Delivanis, Maria (2004), Les enfants de la mondialisation : terrorisme et fascisme , p.327 et suivantes.
Spengler, Oswald (1918), The decline of the West, Vol.1 New York.
The Economist, L’illusion de la fabrication , 15.07.2023
Yascha, Mounk (2018), Le peuple contre la democratie , Harvard University Press.
Notes
[1] Robert D. Kaplan, dans son important ouvrage The Coming Anarchy (2001), affirme que les longues periodes de paix dans l’histoire de l’humanite “engendrent des dirigeants depourvus de memoire historique tragique et donc de sagesse”. En effet, les longues periodes de paix incitent les gens a s’amuser et a mener une vie facile, ce qui “produit des dirigeants et des conseillers superficiels” dont les erreurs peuvent conduire a une guerre generalisee.
[2] Dr Xavier Romero-Vidal, de l’Institut Bennett de Cambridge La guerre ukrainienne divise le monde en spheres liberales et illiberales “Le monde s’est divise en spheres liberales et illiberales”, indique le rapport du 21.oct.2022
[3] Selon les calculs de l’Institut Bennett de Cambridge, les Etats-Unis ont donne 150 milliards de dollars a l’Ukraine.
[4] Le premier fait reference a la guerre declaree par le pere Bush contre le “fante” du terrorisme en reponse a l’attentat contre les tours jumelles.
[5] Bruges, le 13 octobre 2020.
[6] Analyse PwC FMI pour le PIB historique pour les projections jusqu’en 2050.
[7] Voir aussi la vision de Coudenhove Kalergi, notamment pour l’Europe : ” Le genocide des peuples d’Europe ” (traduction de l’italien par Eleftherios Anastasiadis, publiee par olympiada le 8.8.2015).
[8] Alexander Frazer Tytler (attributed to), 1810.
[9] Selon une etude de l’universite de Princeton, le vote de gauche en 2000 s’elevait en moyenne a 8,5 % dans chaque Etat americain, et avait grimpe a 24,1 % dans chaque Etat americain en 2017.
[10] Avec le contenu familier d’attenuer l’importance des traditions et des valeurs fondamentales de la vie, ce qui n’est en principe pas compatible avec les principes occidentaux.
[11] Dr Roberto Foa, codirecteur du CED au Cambidge’s Bennett Institute.
[12] Selon un recent rapport de l’Economist Intelligence Service.
[13]Journal Estia tis Kyriakiaki, 19.02.2023.
[14] Journal Estia tis Kyriakiaki, 29.04.2023.
[15 Efforts pour reduire progressivement le statut du dollar en tant qu’actif de reserve international et le remplacer par d’autres monnaies d’economies emergentes, telles que le rouble, le huan et la monnaie indienne.
[16] Ces deux pays devraient tres bient faire partie du G7 des pays les plus puissants du monde, lorsque l’Occident n’en fera plus partie.
[17] Un monde divise : la Russie, la Chine et l’Occident , Bennett Institute Research.